mardi 29 janvier 2019

Jean Ray, Saint-Judas-de-la-Nuit



Alma éditeur, décembre 2018, 235p.
« Un soir, le manuscrit se roula en cylindre, se déroula, se gonfla et se dégonfla comme composé d’autant de peaux vivantes ».
Paru en 1964, l’année même de la mort de Jean Ray, et donné maintenant pour la première fois, en version intégrale, Saint-Judas de la nuit, « feuillets arrachés à l’album de Satan », est l’ultime manigance occulte du maître de Gand. On ne résume pas un tel livre dont l’opulence gothique, la blême lumière zigzagante, les figures surgies de la nuit et les sarcasmes infernaux laissent le lecteur éperdu. Qu’il sache seulement, cet insensé, qu’il va être question de Nuremberg et de La-Ruche-sur-Orgette, d’un grimoire luciférien, d’abbayes en ruine, d’auberges ouvertes trop tard la nuit, d’un effroyable échiquier aux pièces de cire, de clercs obscurs, d’escargots sacrés et de nuits démoniaques … Jean Ray orchestre d’une plume virtuose ce kaléidoscope fantastique. Il est des livres qu’on n’ouvre pas impunément. C’est pour offrir ?

J'aime beaucoup cette présentation. En dévoiler davantage gâcherait le plaisir du lecteur. Jean Ray excelle dans la distillation du mystère. Ce roman en est sans doute le meilleur exemple. Il ne suit pas une chronologie linéaire. Avant-propos déplacé et "Interférences" entre les chapitres le rendent impossible à résumer. 
On peut se perdre dans la narration, comme l'abbé Capade dans l'abbaye des Six-Tourelles "qui s'engagea dans un véritable labyrinthe d'escaliers en spirale, de passages étroits aux étranges coudes angulaires". Mais on se perd avec le sourire en réalisant qu'on a négligé un détail dans le chassé-croisé des personnages. Tout est habilement posé par petites touches pour tromper le lecteur. 
Si un grimoire maléfique est au cœur du récit, la réflexion se concentre sur la dualité. Pour Jean Ray "bien des mots sont, dans le langage des hommes, d'égale valeur" ou "jeu d'un reflet dans le verre", au sens propre comme au figuré. Son style, poétique, drôle ou glaçant, accentue cet effet.
Les "Autres textes", publiés à la suite du roman, permettent de mieux comprendre les interrogations et les références de l'auteur. "Storkhaus ou la maison des cigognes" et "Merry-go-round" illustrent bien ce goût de l'illusion et de l'épouvante.

On apprécie d’autant plus ce livre si on connaît déjà l’univers de Jean Ray, "aventurier de l’insolite".
Pour le découvrir, il est préférable de commencer par l'indispensable Malpertuis, les nouvelles du Grand Nocturne, celles des Cercles de l'épouvante, ou du Livre des fantômes. La cité de l'indicible peur et Les Contes du whisky pourront séduire les amateurs de faux-semblant.

Alma éditeur a réédité ces textes depuis 2016. Les couvertures de Philippe Foerster et les postfaces, toujours très intéressantes, d'Arnaud Huftier apportent beaucoup à cette collection.

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