(Publié le 12 Juin
2009)
Francisco Coloane, Tierra del Fuego, Phébus, 1994 et Libretto, 2005, 181p. Editions
originale, 1963.
Traduction de François Gaudry. Préface de Luis Sepulveda.
Présentation de l'éditeur
Traduction de François Gaudry. Préface de Luis Sepulveda.
Présentation de l'éditeur
Publié au Chili en 1963, Tierra del
Fuego se distingue d'un simple recueil de nouvelles à la fois par l'unité
du style, par celle des paysages, désolés ou grandioses, qui lui servent de
cadre, et par les thèmes récurrents qui le traversent : histoires de folie
et de mort dont le héros innommé est ce Grand Sud qui aimanta de tout temps les
rêves de l'imaginaire sud-américain. Les personnages qui hantent ce bout du
monde sont tous plus ou moins des exilés : gauchos condamnés à peupler de mauvais
rêves leur solitude, marins attachés au service de rafiots hors d'usage,
insurgés en fuite, contrebandiers, chasseurs de phoques, parias de toutes les
nations… sans oublier les Alakaluf et les Yaghan qui furent les premiers
habitants de ces terres promises à toutes les désolations, et que le
« progrès » a chassés de leur propre Histoire. Les récits qui
s'enchaînent et se répondent sont forts comme un alcool frelaté, tragiques
comme la vie qui n'a pour se défendre que le renoncement, l'ivresse ou le mal.
Aucun « effet » dans ces comptes rendus cruels qui ne se paient pas
de mots, tournent résolument le dos aux prestiges du baroque, et dont la simple
brutalité vous happe et ne vous lâche plus. On comprend qu'Alvaro Mutis
n'hésite pas à voir en Coloane un nouveau Jack London.
Tierra del Fuego reste dans le même esprit que Cap Horn, et je suis à nouveau tombée sous le charme de ces
nouvelles.
Dans ce recueil, entre récits, nouvelles et
contes, Coloane met autant de soin à transcrire la beauté
des paysages que la psychologie de ses personnages. Comme dans Cap
Horn, il nous montre une Nature et une nature humaine profondément
liées. La Terre de Feu, lieu cosmopolite, induit ses propres
règles et favorise l'émergence des instincts les plus sombres,
l'avidité, l'égoïsme, la violence. Coloane décrit très bien
les hésitations et les mécanismes de passage à l'acte. Bien
sûr, un sentiment de solitude, thème récurrent, conduit à des
comportements étranges, comme celui de ce marin qui porte une affection
soudaine et excessive à un agneau, dans "Cap sur Puerto Eden". Dans
cette nouvelle, un ancien capitaine de baleinier perd son emploi et sa foi
en l'Homme. "En bon chasseur de
baleine, habitué à affronter le monstre marin, il avait la conviction que si
l'Homme était parvenu à dominer la nature, il resterait encore longtemps
l'esclave de sa propre nature."
Dans ce lien de dépendance, Coloane souligne aussi les réactions différentes des
occidentaux et des indiens, ce qui le conduit à confronter les modes
de vie et les notions de respect ou d'asservissement. Pourtant, sa vision
de l'homme n'est pas fataliste, désenchantée ; il montre surtout la
complexité des individus.
Dans les récits les plus réalistes, Coloane entretient l'esprit des légendes et des mystères, créant des
ambiances troublantes ou glaçantes, même s'il introduit ironie et humour. Dans
"Cinq marins et un cercueil vert" (ou l'histoire d'un mort oublié sur
un quai sous la neige...) il évoque une "vieille superstition des marins selon laquelle les
défunts confiés à l'océan reviennent toujours hanter les lieux où ils ont vécu
et se venger de ceux qui leur ont fait du mal. Et lorsqu'il y avait crime, la
légende affirmait que l'âme de la victime s'installait dans celle du
bourreau jusqu'à le rendre fou et le faire périr... Superstition?"
Dans la nouvelle
"Sur le cheval de l'aurore", il raconte une rencontre onirique avec
les premiers hommes qui ont habité la Patagonie.
Malgré tout, cette ambiance de mystère est plus diffuse dans ce
recueil que dans Cap Horn.
Avec beaucoup de poésie, Coloane nous transporte
dans un univers riche, au style et à la narration très personnels, pour un
dépaysement total, où la mer reste omniprésente :"La mer, possessive et violente quand on navigue sur ses eaux,
nous apparaissait de si loin comme une irremplaçable compagne, une immense
étendue paisible, dont la vue rassurait, éveillant un indéfinissable sentiment
d'espérance." ("Terres
d'oubli").
Dans "Cinq marins et un cercueil vert", j'ai
également retenu le refrain du timonier, à apprendre par coeur
avant de prendre la mer !
"Si da el verde con el verde
Y el colorado con su ignual
Y el colorado con su ignual
Entonces nada se pierde,
siga el rumbu cada cual"
"Si le vert répond au vert
Et le rouge à son semblable
Alors nul ne se perd
et chacun poursuit sa route"
Luis Sepulveda a écrit la très belle préface de
ce recueil. Il rappelle que Francisco Coloane a proposé des textes atypiques
qui ont bouleversé le paysage littéraire chilien, et que ce "conteur
inclassable" est devenu le plus populaire de son pays.
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