lundi 30 juin 2014

Joseph Kessel, La passante du Sans-souci

(Publié le 12 Février 2008)
Joseph Kessel, La passante du Sans-souci, Gallimard, 1936 (édition folio, 216p.)
Chaque matin, à Montmartre, le narrateur voit la même femme, enveloppée dans un manteau de zibeline, passer devant le café du Sans-souci. Intrigué par la "course d'une fille aux abois" de "ce spectre sans visage", il apprend bientôt son histoire.

Pourquoi n'avais-je pas relu Kessel depuis l'adolescence ? Je l'ignore, mais je ne regrette pas d'avoir lu ce roman que je n'ai pu lâcher avant de l'avoir fini...
L'histoire de cette femme est profondément troublante. Elsa Wiener est sans doute l'une des premières héroïnes de roman dont le destin est bouleversé par la montée du nazisme. L'intrigue du roman se noue autour de l'histoire d'Elsa et de sa relation avec Michel, son mari, prisonnier dans un camp en Allemagne. Séparée de Michel, Elsa tente de poursuivre sa carrière de chanteuse à Paris. Alors qu'elle se heurte à de nombreuses désillusions, son affection pour Michel devient amour, jusqu'au sacrifice. "Un amour incomplet, une fidélité forcée et abstraite, un élan faussé, un refoulement voulu, un instinct mis à la torture, voilà les éléments avec lesquels Elsa devait composer la trame de ses jours et de ses nuits".
J'étais fascinée par le point de vue du narrateur. Il est d'abord charmé par Elsa, mais il comprend très vite qu'elle est profondément liée à Michel. Il présente alors son histoire avec une distance, presque dérangeante, mais qui rend ce récit "supportable". Il devient l'ami et un spectateur impuissant, car la fatalité, omniprésente, s'accompagne d'une acceptation, d'un renoncement. "Quand on a la sensation que se referme un cercle inévitable, la volonté se rend."
Mais Kessel ne juge pas, il tente de comprendre : "Un acte, quel qu'il soit, peut-il se nommer dégradant, s'il est uniquement voué au salut d'autrui?" Puis, un peu plus loin : "Quand un être se détruit pour une grande idée ou pour un grand amour, j'ai toujours pensé qu'il a choisi un domaine dont il n'appartient à personne de le ramener". Est-ce une forme de lucidité qui l'incite à penser qu'Elsa est irrémédiablement perdue, ou le respect de ses choix ? ou bien simplement l'ambiance de ces années Trente ?
Le roman paraît en 1936, l'évocation des camps est brève, mais les qualificatifs sont frappants, et le lecteur est  pris par une émotion d'autant plus grande qu'il a aujourd'hui de nombreuses images à l'esprit. Je reconnais même avoir tremblé pour les personnages, à la seule lecture de quelques phrases, en particulier lorsque le narrateur assure à Elsa que ses bourreaux ne viendront pas la chercher à Paris ; ou encore, lorsqu'il décrit cet agent de la Gestapo.
Max, l'enfant juif, orphelin, mutilé par les miliciens, porte sur Elsa un regard plus innocent, révolté ou résigné, mais également impuissant. Cet amour lui inspire notamment cette question : "Et comment faut-il donc aimer pour, en même temps, être heureux et rendre heureux?"

Le point de vue de Max est repris dans le film de Jacques Rouffio, sorti en 1982, avec Romy Schneider et Michel Piccoli. À 60 ans, Max retrouve le meurtrier de son père. Il tue froidement cet ancien officier nazi, devenu ambassadeur du Paraguay. J'ai vu ce film à l'adolescence, lors des premières diffusions à la télévision, et il m'avait beaucoup marqué, en particulier pour la magnifique interprétation de Romy Schneider.

Un livre très émouvant que je vous conseille vivement de découvrir si ce n'est déjà fait.

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