(Publié le 11
octobre 2008)
Guy de Maupassant, Mont-Oriol, 1886 (éditions
Folio, 378p.).
Homme d’affaire parisien fortuné, William Andermatt
séjourne dans la station thermale d’Enval avec sa famille, lorsqu’une nouvelle
source est découverte sur les terres du père Oriol. Andermatt déploie tous
ces efforts pour la création de la nouvelle station « Mont-Oriol », mais délaisse
sa femme, venue pour soigner une possible stérilité. Christiane se
rapproche alors de Paul Brétigny, un ami de son frère Gontran.
Amour et affaires s’entremêlent dans ce roman très
dense. La plume de Maupassant, toujours si précise, directe et
surprenante, donne beaucoup de rythme, d’humour et d’émotion à cette galerie de
personnages, personnages extraits de leur vie parisienne et présentés dans le
contexte particulier des villes d’eaux. Sur ces stations, Maupassant fait remarquer par Gontran que « ce sont les seuls pays de féerie qui subsistent
sur la terre. En deux mois, il s’y passe plus de choses que dans le reste de
l’univers durant le reste de l’année. »
et d'ajouter : « A Paris on résiste,
aux eaux, on tombe, vlan ! »
C’est également l’occasion pour Maupassant de se
livrer à une fine critique de la médecine et des
médecins.« Les médecins, dans les
villes d’eaux, semblent sortir des sources à la façon des bulles de gaz ». Il cite une dizaine de praticiens et leur prête les
travers les plus méprisables: prétentieux, âpres au gain, intrigants, peu
compétents… et ridicules. Certaines méthodes sont décrites avec beaucoup
d’humour ! Du docteur Bonnefille, qui dirige l’établissement,
Maupassant écrit qu’il signe son ordonnance « comme
aurait fait un magistrat pour un arrêt capital ».
Les hommes d’affaires, le monde rural, et les milieux
mondains ne sont pas épargnés. Chaque
personnage porte une critique à lui seul, à l’image de Gontran le frère de
Christiane. Il incarne le dandy, joueur insouciant et opportunisme. Et tout ce
petit monde est fourbe, orgueilleux, égoïste et manipulateur. Les références
aux mondes des affaires sont très intéressantes. Andermatt explique notamment que « la grande question moderne, Messieurs, c’est la
réclame ; elle est le dieu du commerce et de l’industrie contemporains ». J’ai également beaucoup apprécié le portrait du
marquis, le père de Christiane, qui « cédait
toujours quand on insistait, par amour égoïste du repos ». Mais une seule phrase suffit à Maupassant pour
décrire son rôle dans tout le roman : « sans opinion, sans croyance, il n’avait que des
enthousiasmes qui variaient à tout instant ».
Pourtant, Maupassant, toujours cynique, sait rendre ses
personnages attachants, malgré leurs défauts. Écartelés entre passion, intérêt
et devoir, ils nous ressemblent beaucoup.
Sur l’amour, le deuxième grand thème de ce roman. Maupassant se joue des clichés de son époque, tant dans
la vie que dans la littérature. Il décrit les sentiments avec un lyrisme
qui laisse présager un drame romantique, mais fait glisser ses personnages sous
un regard plus réaliste, dans ce modèle tiède et convenable des apparences et
d’une morale illusoire.
Christiane épouse Andermatt « comme elle aurait consenti à passer un été dans un
endroit désagréable ». Puis elle
découvre la passion avec Paul Brétigny. « Ils
se regardaient de ce regard immobile, obstiné qui semble vraiment mêler deux
être l’un à l’autre ! » Mais après
la trahison, Christiane "comprit que
les hommes marchent côte à côte, à travers les événements, sans que jamais rien
unisse vraiment deux êtres ensemble ».
Maupassant montre leur ambiguïté : héros
romantiques dans la première partie du livre, amants déçus et lucides dans la
seconde. Pourtant, pour Paul, jeune homme influencé par les romans de W Scott,
Dickens et George Sand, Maupassant laisse la question en suspens. « Ce qui l’exaltait dans la tendresse, c’était cet
envolement de deux cœurs vers un idéal inaccessible, cet enlacement de deux
âmes qui sont immatérielles, c’était tout le factice et l’irréalisable mis par
les poètes dans la passion. Dans la femme physique, il adorait la Vénus dont le
flanc sacré devait conserver toujours la forme pure de la stérilité ». Mais il tombe amoureux de Charlotte
et, pressé par le hasard, il demande sa main… Maupassant ne dit pas
comment il évoluera.
« Mais seuls, peut-être, les êtres de même taille,
de même nature, de même essence morale peuvent se sentir attachés l’un à
l’autre par la chaîne sacrée du devoir volontaire. » La question reste posée...
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