lundi 30 juin 2014

Maupassant, Mont-Oriol

(Publié le 11 octobre 2008)
Guy de Maupassant, Mont-Oriol, 1886 (éditions Folio, 378p.).
 Homme d’affaire parisien fortuné, William Andermatt séjourne dans la station thermale d’Enval avec sa famille, lorsqu’une nouvelle source est découverte sur les terres du père Oriol. Andermatt déploie tous ces efforts pour la création de la nouvelle station « Mont-Oriol », mais délaisse sa femme, venue pour soigner une possible stérilité. Christiane se rapproche alors de Paul Brétigny, un ami de son frère Gontran.

Amour et affaires s’entremêlent dans ce roman très dense. La plume de Maupassant, toujours si précise, directe et surprenante, donne beaucoup de rythme, d’humour et d’émotion à cette galerie de personnages, personnages extraits de leur vie parisienne et présentés dans le contexte particulier des villes d’eaux. Sur ces stations, Maupassant fait remarquer par Gontran  que « ce sont les seuls pays de féerie qui subsistent sur la terre. En deux mois, il s’y passe plus de choses que dans le reste de l’univers durant le reste de l’année. »  et d'ajouter : « A Paris on résiste, aux eaux, on tombe, vlan ! »
C’est également l’occasion pour Maupassant de se livrer à une fine critique de la médecine et des médecins.« Les médecins, dans les villes d’eaux, semblent sortir des sources à la façon des bulles de gaz ». Il cite une dizaine de praticiens et leur prête les travers les plus méprisables: prétentieux, âpres au gain, intrigants, peu compétents… et ridicules. Certaines méthodes sont décrites avec beaucoup d’humour ! Du docteur Bonnefille, qui dirige l’établissement, Maupassant écrit qu’il signe son ordonnance « comme aurait fait un magistrat pour un arrêt capital ».

Les hommes d’affaires, le monde rural, et les milieux mondains ne sont pas épargnés. Chaque personnage porte une critique à lui seul, à l’image de Gontran le frère de Christiane. Il incarne le dandy, joueur insouciant et opportunisme. Et tout ce petit monde est fourbe, orgueilleux, égoïste et manipulateur. Les références aux mondes des affaires sont très intéressantes. Andermatt explique notamment que « la grande question moderne, Messieurs, c’est la réclame ; elle est le dieu du commerce et de l’industrie contemporains ». J’ai également beaucoup apprécié le portrait du marquis, le père de Christiane, qui « cédait toujours quand on insistait, par amour égoïste du repos ». Mais une seule phrase suffit à Maupassant pour décrire son rôle dans tout le roman : « sans opinion, sans croyance, il n’avait que des enthousiasmes qui variaient à tout instant ».
Pourtant, Maupassant, toujours cynique, sait rendre ses personnages attachants, malgré leurs défauts. Écartelés entre passion, intérêt et devoir, ils nous ressemblent beaucoup.

Sur l’amour, le deuxième grand thème de ce roman. Maupassant se joue des clichés de son époque, tant dans la vie que dans la littérature. Il décrit les sentiments avec un lyrisme qui laisse présager un drame romantique, mais fait glisser ses personnages sous un regard plus réaliste, dans ce modèle tiède et convenable des apparences et d’une morale illusoire.
Christiane épouse Andermatt « comme elle aurait consenti à passer un été dans un endroit désagréable ». Puis elle découvre la passion avec Paul Brétigny. « Ils se regardaient de ce regard immobile, obstiné qui semble vraiment mêler deux être l’un à l’autre ! » Mais après la trahison, Christiane "comprit que les hommes marchent côte à côte, à travers les événements, sans que jamais rien unisse vraiment deux êtres ensemble ».
Maupassant montre leur ambiguïté : héros romantiques dans la première partie du livre, amants déçus et lucides dans la seconde. Pourtant, pour Paul, jeune homme influencé par les romans de W Scott, Dickens et George Sand, Maupassant laisse la question en suspens. « Ce qui l’exaltait dans la tendresse, c’était cet envolement de deux cœurs vers un idéal inaccessible, cet enlacement de deux âmes qui sont immatérielles, c’était tout le factice et l’irréalisable mis par les poètes dans la passion. Dans la femme physique, il adorait la Vénus dont le flanc sacré devait conserver toujours la forme pure de la stérilité ». Mais il tombe amoureux de Charlotte et, pressé par le hasard, il demande sa main… Maupassant ne dit pas comment il évoluera.
« Mais seuls, peut-être, les êtres de même taille, de même nature, de même essence morale peuvent se sentir attachés l’un à l’autre par la chaîne sacrée du devoir volontaire. » La question reste posée... 

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