lundi 30 juin 2014

Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien

(Publié le 3 Décembre 2008)
Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien, Editions de minuit, 1958, 205p. Les Nouvelles, 1945. Les textes pour rien, 1950.

Il est assez difficile d'évoquer ce recueil, sans le réduire à une vision trop "intellectualisée", rationalisée, alors que les textes de Beckett s'adressent d'abord à notre sensibilité.
L'histoire en elle-même n'a pas de réelle importance, écrit Beckett : "Je ne sais pas pourquoi j'ai raconté cette histoire. J'aurais pu tout aussi bien en raconter une autre. Peut-être qu'une autre fois je pourrai en raconter une autre. Ames vives, vous verrez que cela se ressemble."("L'explulsé").
Dans une narration à la première personne Beckett nous entraîne dans un monde qui semble à la fois fait de rêve et de réalité, de descriptions livrées comme des bribes de décors de théâtre ; rêves et souvenirs d'un passé trouble mais plus heureux (peut-être?), réalité incontournable et parfois cruelle.
Samuel Beckett nous invite à suivre le fil d'une pensée où le doute, la futilité s'oppose toujours à la réalité, et surtout à la plus évidente et contraignante :  le corps, ses besoins et sa fragilité. Très présents dans les trois nouvelles, il disparaît presque dans les "Textes pour rien" où ne subsiste qu'une voix... une conscience humaine ? L'obsession de la voix et des mots est omniprésente chez Beckett mais toujours accompagnée de cette question : quel sens faut-il encore leur donner ?
"C'est à se demander parfois si on est sur la bonne planète. Même les mots vous lâchent, c'est vous  dire." ("La fin")
Entre prose, philosophie, quête de sens, dans l'écriture et dans la vie, Samuel Beckett est un écrivain qu'il faut accepter de suivre, en laissant un peu de côté nos propres règles, nos références, ou même la recherche d'une histoire, pour explorer son univers, écouter ses interrogations.
"Je devrais m'en détourner du corps, de la tête, les laisser s'arranger, les laisser cesser, je ne peux pas, il faudrait que moi je cesse."(Texte pour rien I)
Tragédie de l'existence, de la naissance qui condamne à la mort, de la recherche de soi, d'un but, d'un sens, de quelque chose.
"J'ai toujours été étonné du peu de finesse de mes contemporains, moi dont l'âme se tordait du matin au soir, rien qu'à se chercher" ("L'expulsé").
Cet univers, qui a priori peut paraître sombre n'est pas désespéré. L'espoir n'est pas complètement absent, mais il se heurte aux déceptions, aux désillusions, comme dans En attendant Godot, dont les trois nouvelles sont très proches et que je me suis empressée de relire. Mais ce n'est pas un monde triste, c'est un monde de réflexions, de doutes, et l'humour vient surprendre le lecteur par des jeux de mots, des remarques inattendues, en particulier sur le rapport au corps, et un certain cynisme.
A titre d'exemple, dans la nouvelle "La fn", les explications du narrateur sur la mendicité, notamment celle-ci: "Les gens qui font l'aumône n'aiment pas beaucoup que cela les oblige à se pencher". Et cette petite phrase que l'on pourrait aisément s'approprier: "ça va mal, mal, mais va, c'est déjà ça".

J'espère vous avoir donné envie de le découvrir, si vous ne l'avez pas lu, car, encore une fois, l'univers atypique de Samuel Beckett s'adresse bien plus aux sens, à la sensibilité, qu'à la réflexion. Le raisonnement vient ensuite. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire