(Publié le 3 Décembre
2008)
Samuel Beckett, Nouvelles
et textes pour rien, Editions de minuit, 1958, 205p. Les Nouvelles, 1945. Les
textes pour rien, 1950.
Il est assez difficile
d'évoquer ce recueil, sans le réduire à une vision trop
"intellectualisée", rationalisée, alors que les textes de Beckett
s'adressent d'abord à notre sensibilité.
L'histoire en elle-même
n'a pas de réelle importance, écrit Beckett : "Je ne sais pas pourquoi j'ai raconté cette histoire.
J'aurais pu tout aussi bien en raconter une autre. Peut-être qu'une autre fois
je pourrai en raconter une autre. Ames vives, vous verrez que cela se
ressemble."("L'explulsé").
Dans une narration à la
première personne Beckett nous entraîne dans un monde qui semble à la fois
fait de rêve et de réalité, de descriptions livrées comme des bribes de décors
de théâtre ; rêves et souvenirs d'un passé trouble mais plus heureux
(peut-être?), réalité incontournable et parfois cruelle.
Samuel
Beckett nous invite à suivre le fil d'une pensée où le doute, la futilité
s'oppose toujours à la réalité, et surtout à la plus évidente et
contraignante : le corps, ses besoins et sa fragilité. Très présents dans
les trois nouvelles, il disparaît presque dans les "Textes pour
rien" où ne subsiste qu'une voix... une conscience humaine ?
L'obsession de la voix et des mots est omniprésente chez Beckett mais toujours
accompagnée de cette question : quel sens faut-il encore leur donner ?
"C'est à se demander parfois si on est sur la bonne
planète. Même les mots vous lâchent, c'est vous dire." ("La fin")
Entre prose,
philosophie, quête de sens, dans l'écriture et dans la vie, Samuel Beckett est
un écrivain qu'il faut accepter de suivre, en laissant un peu de côté nos
propres règles, nos références, ou même la recherche d'une histoire, pour
explorer son univers, écouter ses interrogations.
"Je devrais m'en détourner du corps, de la tête, les laisser
s'arranger, les laisser cesser, je ne peux pas, il faudrait que moi je cesse."(Texte pour rien I)
Tragédie de
l'existence, de la naissance qui condamne à la mort, de la recherche de soi,
d'un but, d'un sens, de quelque chose.
"J'ai toujours été étonné du peu de finesse de mes
contemporains, moi dont l'âme se tordait du matin au soir, rien qu'à se
chercher" ("L'expulsé").
Cet univers, qui a
priori peut paraître sombre n'est pas désespéré. L'espoir n'est pas
complètement absent, mais il se heurte aux déceptions, aux désillusions, comme
dans En attendant Godot, dont les trois nouvelles sont très proches et
que je me suis empressée de relire. Mais ce n'est pas un monde triste, c'est un
monde de réflexions, de doutes, et l'humour vient surprendre le lecteur par des
jeux de mots, des remarques inattendues, en particulier sur le rapport au
corps, et un certain cynisme.
A titre d'exemple, dans
la nouvelle "La fn", les explications du narrateur sur la
mendicité, notamment celle-ci: "Les
gens qui font l'aumône n'aiment pas beaucoup que cela les oblige à se pencher". Et cette petite phrase que l'on pourrait aisément
s'approprier: "ça va mal, mal, mais va, c'est
déjà ça".
J'espère vous avoir
donné envie de le découvrir, si vous ne l'avez pas lu, car, encore une
fois, l'univers atypique de Samuel Beckett s'adresse bien plus aux sens, à la
sensibilité, qu'à la réflexion. Le raisonnement vient ensuite.
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