lundi 30 juin 2014

Romain Gary, L'angoisse du roi Salomon

(Publié le 8 Juillet 2009)
Romain Gary/ Emile Ajar, L'angoisse du roi Salomon, Mercure de France, 1979, folio, 1987, 350p.
Jean, chauffeur de taxi, fait la connaissance de Salomon, ancien roi du prêt-à-porter, qui l'engage dans son entreprise d'aide aux "oubliés. Jean rencontre alors mademoiselle Cora et devine peu à peu la raison de l'angoisse du roi Salomon.

Dans ce roman, l'humour, qualifié d'arme d'auto-défense, est omniprésent, et grâce à cette arme, Romain Gary aborde les thèmes qui le préoccupent : la vieillesse, la mort, l'amour, la solitude.
L'histoire de Monsieur Salomon et de Mademoiselle Cora est terrible ; séparés par la guerre, les deux amoureux sont fâchés depuis près de quarante ans. Pourtant, leur entêtement, leur attitude parfois puérile, conduisent à des situations à la fois drôles et touchantes. Tous deux acceptent leur âge, par obligation... mais ne se résignent pas à correspondre aux clichés qui s'y rattachent. Jean les observe et devient leur médiateur.
Comme dans La vie devant soi, Romain Gary choisit un narrateur particulier, très attachant, qui est confronté au décalage entre sa personnalité et l'image que son physique inspire, ici, celle d'un truand sorti d'un film des années Cinquante. Marginal, Jean est touché par la démarche de M. Salomon qui vient en aide aux "oubliés", les personnes seules, les exclus, ceux qui n'intéressent plus personne. Jean les imagine comme une espèce menacée, des goélands englués dans une marée noire ou des bébés phoques.
Le livre est ancré dans son époque, avec des références au passé, notamment à la Seconde guerre mondiale, par l'histoire de Salomon et de Cora, et par les réflexions de l'exécrable Tapu, ancien collabo.
Cependant, beaucoup de problèmes soulevés par Gary sont encore actuels : l'exclusion, l'écologie, le "prêt à porter" appliqué à la pensée, et la difficulté de s'adapter au monde contemporain.
Gary pose ces thèmes dès les premières pages du livre, quand l'un des employés de M. Salomon reçoit Jean et lui explique : "Autrefois, on pouvait s'ignorer. On pouvait garder ses illusions. Aujourd'hui, grâce aux médias, au transistor, à la télévision surtout, le monde est devenu excessivement visible. La plus grande révolution des temps modernes c'est cette soudaine et aveuglante visibilité du monde. Nous en avons appris plus long sur nous-même, au cours des dernières trente années qu'au cours des millénaires, et c'est traumatisant. Quand on a fini de se répéter, mais ce n'est pas moi, ce sont les Nazis, ce sont les Cambodgiens, ce sont les... je ne sais pas moi, on finit tout de même par comprendre que c'est de nous qu'il s'agit. De nous-même, toujours, partout. D'où culpabilité (...) Ce que je crains, c'est un processus de désensibilisation, pour dépasser la sensibilité par l'endurcissement, ou en la tuant par le dépassement, comme les Brigades rouges. Le fascisme a toujours été une entreprise de désensibilisation."

Or, Jean est un personnage qui éprouve de la compassion et un amour qui s'étend sur toutes les personnes qu'il croise, car il ne peut le donner à une seule.

"Quand on aime comme on respire, ils prennent tous ça pour une maladie respiratoire." pense-t-il.

Il souffre d'une trop grande sensibilité au point de vouloir s'en débarrasser, ou à défaut, de fixer les sentiments dans les définitions du dictionnaire. Il développe une obsession pour les définitions exactes, afin de se les approprier et de les traduire dans son propre langage. Le stoïcisme analysé par Jean : "C'est quand on a tellement peur de tout perdre, qu'on perd tout exprès pour ne plus avoir peur. C'est ce qu'on appelle l'angoisse, mademoiselle Cora, plus connu comme pétoche". Il pose un regard naïf sur le monde, se révolte contre l'absurdité, les conventions, la bêtise, l'oubli. Ses  réflexions prêtent à sourire et à s'interroger. Pourtant, Jean reste lucide et comprend bien que cet intérêt pour les autres masque son propre malaise. Il crée des liens de dépendance, qu'il sait destructeur, mais ne sait plus comment les rompre.

Si la référence à La vie devant soi est directe, puisque Gary cite le film, celle à La Promesse de l'aube est plus subtile. Jean dit à mademoiselle Cora que l'amour est ce qui manque à tous "C'est même pour ça que les mères donnent tant de tendresse à leurs enfants, pour que plus tard ils aient de bons souvenirs."

Et pour Jean et Salomon, la réponse à l'angoisse, c'est l'amour d'une femme, naturellement !
Moins bouleversant que La vie devant soi, sans doute parce que le roman laisse le lecteur sur un note optimiste, ce roman de Gary/Ajar reste à découvrir !

C'est en lisant l'avis d'Isil, qui a reçu ce roman par une chaîne du livre, que j'ai réalisé que ce roman était toujours dans ma PAL.

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