(Publié le 8 Juillet 2009)
Romain Gary/ Emile Ajar, L'angoisse du roi Salomon, Mercure de France, 1979,
folio, 1987, 350p.
Jean, chauffeur de taxi, fait la connaissance de Salomon,
ancien roi du prêt-à-porter, qui l'engage dans son entreprise d'aide
aux "oubliés. Jean rencontre alors mademoiselle Cora et devine peu à peu
la raison de l'angoisse du roi Salomon.
Dans ce roman, l'humour, qualifié d'arme d'auto-défense, est
omniprésent, et grâce à cette arme, Romain Gary aborde les thèmes qui le
préoccupent : la vieillesse, la mort, l'amour, la solitude.
L'histoire de Monsieur Salomon et de Mademoiselle Cora est terrible ; séparés
par la guerre, les deux amoureux sont fâchés depuis près de quarante ans.
Pourtant, leur entêtement, leur attitude parfois puérile, conduisent à des
situations à la fois drôles et touchantes. Tous deux acceptent leur âge, par
obligation... mais ne se résignent pas à correspondre aux clichés qui s'y
rattachent. Jean les observe et devient leur médiateur.
Comme dans La vie devant soi, Romain Gary choisit un narrateur particulier,
très attachant, qui est confronté au décalage entre sa personnalité et l'image
que son physique inspire, ici, celle d'un truand sorti d'un film des années Cinquante. Marginal, Jean est touché par la démarche de M. Salomon
qui vient en aide aux "oubliés", les personnes seules, les
exclus, ceux qui n'intéressent plus personne. Jean les imagine comme
une espèce menacée, des goélands englués dans une marée
noire ou des bébés phoques.
Le livre est ancré dans son époque, avec des références au passé, notamment à
la Seconde guerre mondiale, par l'histoire de Salomon et de Cora, et par les
réflexions de l'exécrable Tapu, ancien collabo.
Cependant, beaucoup de problèmes soulevés par Gary sont encore
actuels : l'exclusion, l'écologie, le "prêt à porter" appliqué à la
pensée, et la difficulté de s'adapter au monde contemporain.
Gary pose ces thèmes dès les premières pages du livre, quand l'un des employés
de M. Salomon reçoit Jean et lui explique : "Autrefois, on pouvait s'ignorer. On pouvait garder ses
illusions. Aujourd'hui, grâce aux médias, au transistor, à la télévision
surtout, le monde est devenu excessivement visible. La plus grande révolution
des temps modernes c'est cette soudaine et aveuglante visibilité du monde. Nous
en avons appris plus long sur nous-même, au cours des dernières trente années
qu'au cours des millénaires, et c'est traumatisant. Quand on a fini de se
répéter, mais ce n'est pas moi, ce sont les Nazis, ce sont les Cambodgiens, ce
sont les... je ne sais pas moi, on finit tout de même par comprendre que c'est
de nous qu'il s'agit. De nous-même, toujours, partout. D'où culpabilité (...)
Ce que je crains, c'est un processus de désensibilisation, pour dépasser la
sensibilité par l'endurcissement, ou en la tuant par le dépassement, comme les
Brigades rouges. Le fascisme a toujours été une entreprise de désensibilisation."
Or, Jean est un personnage qui éprouve de la compassion et un amour
qui s'étend sur toutes les personnes qu'il croise, car il ne peut le donner
à une seule.
"Quand on aime comme on respire, ils prennent tous ça
pour une maladie respiratoire." pense-t-il.
Il souffre d'une trop grande sensibilité au point de vouloir s'en débarrasser,
ou à défaut, de fixer les sentiments dans les définitions du dictionnaire.
Il développe une obsession pour les définitions exactes, afin de se les
approprier et de les traduire dans son propre langage. Le stoïcisme analysé par
Jean : "C'est quand on a tellement peur de tout perdre, qu'on
perd tout exprès pour ne plus avoir peur. C'est ce qu'on appelle l'angoisse,
mademoiselle Cora, plus connu comme pétoche". Il pose un regard naïf sur le monde, se révolte contre l'absurdité, les
conventions, la bêtise, l'oubli. Ses réflexions prêtent à
sourire et à s'interroger. Pourtant, Jean reste lucide et comprend bien
que cet intérêt pour les autres masque son propre malaise. Il crée des liens de
dépendance, qu'il sait destructeur, mais ne sait plus comment les rompre.
Si la référence à La vie devant soi est directe, puisque Gary cite le film, celle à La Promesse
de l'aube est plus subtile. Jean dit à mademoiselle Cora que l'amour est ce qui manque à tous
"C'est même pour ça que les mères donnent tant de
tendresse à leurs enfants, pour que plus tard ils aient de bons souvenirs."
Et pour Jean et Salomon, la réponse à l'angoisse, c'est l'amour d'une
femme, naturellement !
Moins bouleversant que La vie devant soi, sans doute parce que le roman laisse le lecteur sur un note
optimiste, ce roman de Gary/Ajar reste à découvrir !
C'est en lisant l'avis d'Isil, qui a reçu ce roman
par une chaîne du livre, que j'ai réalisé que ce roman était toujours dans
ma PAL.
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