lundi 30 juin 2014

Raymond Queneau, Loin de Rueil

(Publié le 19 Février 2008)
Raymond Queneau, Loin de Rueil, Gallimard 1944, (folio, 211p.)
Jacques Laumône est un rêveur ; il invente, il imagine. Enfant, quand il va au cinéma, il se voit coboy, se battant contre des horlalouas dans la farouest. Il veut devenir roi ou pape ; il s'invente une généalogie, des histoires de passions et de guerre qui le conduisent à devenir empereur, fondateur de la dynastie de Laumoningiens, puis souverain de l'univers ! "Il est stupéfiant de penser qu'on n'est pas né prince duc ou comte et pourtant et pourtant pourquoi pas soi pourquoi pas soi", pense Jacques. Plus tard, il se crée une vie de boxer, de chimiste, de comédien...

Il est toujours un peu difficile de présenter un roman de Queneau, tant son univers est singulier. Celui-ci est le roman de la "rêverie éveillée". Jacques ne cesse de passer de la réalité à l'imaginaire. "Parfois Jacques suit un personnage dans la rue moins pour découvrir cet autre que pour s'en vêtir quelques minutes." Mais cette habitude du rêve, traduit avec tout l'humour de l'auteur, révèle bien autre chose, des sujets que Raymond Queneau aborde dans plusieurs de ses romans avec des personnages qui s'interrogent sur leur identité et leur existence. Jacques, déçu par l'amour, par ses revers de fortune, se demande s'il est capable de devenir "un rien du tout". Il ne rêve plus. "Jacques déblaie, déblaie, il faut faire fiça car par tant de degrés à l'ombre même le souvenir des morts pourrit vite et ne tarde pas à fleurer la charogne, même si ce sont des morts que pour soi, des morts à l'usage personnel sans chair ni parole, des sous-fantômes assommés par les nécessités de la vie et les conséquences des rêves". Queneau aborde ce thème du rêve, opposé à une réalité contraignante dans l'esprit d'un homme ambitieux qui aime la facilité, qui ne se résigne pas à vivre une seule vie. "Il avait horreur de la spécialisation et des longues carrières qui marquent et vous font des plis". Et Queneau trace progressivement le lien vers le théâtre et le cinéma.

L'autre grand thème n'est autre que l'amour... "C'est toujours comme ça. C'est toujours la même cause, toujours la même raison. une histoire triste. une histoire de femme. Une histoire triste de femme. Ah les femmes, monsieur!" Queneau dresse une galerie de personnages insolites aux histoires souvent dramatiques, mais toujours présentées avec humour ou ironie. J'ai beaucoup aimé Louis-Philippe des Cigales, victime d'ontalgie ( "une maladie existentielle, ça ressemble à l'asthme mais c'est plus distingué"), le plus grand homme de Rueil, mais poète méconnu dans les autres communes.

Enfin, je retrouve toujours avec plaisir tout le style de Queneau, les mots valises, les rimes, ces thèmes ou scènes, qui rythment le roman en revenant régulièrement tout au long du récit ; ici, le cinéma et les poux ! (Jacques songe même a créer une espèce de poux géants...)
On retrouve également ces inversions de sujets, ces chagement de ton, ces jeux sur  les sonorités ou sur les constructions des phrases, mêlant une syntaxe archaïque au langage parlé (tout est toujours très étudié et subtil avec Queneau). "Jacques encaissa la monnaie, laissa pourboire de rupin et sans parler sortit". À propos d'une course de chevaux, "et puis Peau-de-pou, dit le Tonton, on n'a pas idée de risquer ses sous sur un chevable qu'on accable d'un vocable semblable". "A quinze ans, il imposait son génie par un concerto bifide à rebrousse-poil pour cythare tubulaire et chalumeau birman (op. 37)"
Voilà quelques exemples qui vous donneront peut-être envie de (re)découvrir Raymond Queneau dont on lit souvent seulement Exercice de style et Zazie dans le métro. Sur le thème de la rêverie, Loin de Rueil se rapproche davantage des Fleurs bleues. Si vous craignez d'être un peu perdus dans cet univers, il existe des éditions avec des dossiers et des lexiques pour les termes d'argot et les références de Queneau.

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